Opéra de Lyon : Wozzeck d’Alban Berg
Article by Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin from Resonances Lyriques
Rustioni prend la partition à bras-le-corps tout en offrant un éclairage phonique qui transporte l’auditoire
“Si ce que l’on voit sue le conditionnement des produits aseptisés et stéréotypés de grandes surfaces, servis aujourd’hui dans la majorité des maisons d’opéra du monde, ce que l’on entend procure, en revanche, les plus hautes satisfactions. En haut du podium, plaçons sans hésiter la direction d’un Daniele Rustioni inspiré. Perceptiblement plus contracté que d’ordinaire, le chef milanais présente une concentration démultipliée, en une interprétation s’inscrivant directement dans la lignée d’un Claudio Abbado.
L’on y retrouve le même lyrisme éperdu, la même clarté des tracés dans les enchevêtrements polyphoniques, à l’opposé – pour se borner aux souvenirs discographiques – d’une âpreté hyper-tendue chez Christoph von Dohnányi [DECCA, avec pourtant les mêmes musiciens qu’Abbado !], de la dissection vénéneuse d’un Karl Böhm [DGG], de la brutalité oppressante d’Herbert Kegel [BERLIN CLASSICS], voire de la glaçante lecture au scalpel de Pierre Boulez [SONY CLASSICAL]. Or, à l’instar d’Abbado, Rustioni prend la partition à bras-le-corps tout en offrant un éclairage phonique qui transporte l’auditoire, contribuant à tout rendre plus immédiatement accessible, compréhensible. En somme, l’exact opposé de la présente proposition visuelle qui, elle, passe son temps à complexifier les choses ! En outre portons au crédit de notre Directeur musical le sens du drame sans pathos, un travail en profondeur sur le texte et les combinaisons de timbres, un sens inouï de la progression, tout en maintenant la tension sans asphyxie. Quand certains chefs vont plus loin dans la minéralité verticale, Rustioni préfère l’oxygénation horizontale, sans jamais perdre de vue aucune des composantes sonores pour autant. Si les interludes sonnent superlatifs, on accolera une mention à la façon dont se trouve dominée la structure en passacaille de la scène-clef entre Wozzeck et Le Docteur.
Taillé à merveille pour suivre cette vision, l’orchestre – musique de scène comprise ! – donne le meilleur de lui-même dans la sveltesse comme la puissance contrôlée, faisant preuve d’une diversité de teintes confondante ainsi que d’une admirable endurance. Ce, d’autant plus que l’œuvre n’est pas jouée avec ses deux entractes primitifs mais d’une traite, comme c’est le plus souvent le cas désormais. Tout au plus déplore-t-on un déficit de violons (dû à l’exiguïté chronique de la fosse).
…Grâce à vous, au Maestro Rustioni ainsi que tous vos partenaires défendant ce soir les droits propres à l’art musical le plus bouleversant, l’Opéra de Lyon peut encore se maintenir sur les cimes.”