Lyon: une grande "Fanciulla" est née
Copyright Jean-Louis Fernandez
Article by Guy Cherqui from Wanderer
[…] Le coup de Poker (puisqu’on est dans les cartes) est largement remporté, au vu du triomphe lors de la Première, notamment par le très grand niveau musical de l’ensemble, dominé par un Daniele Rustioni flamboyant et dynamisant toutes les forces de la maison, une présence précieuse à qui on souhaite encore un long séjour à Lyon…impression particulièrement positive de l’orchestre dans son ensemble, très au point, dont on sent une préparation attentive, montrant qu’il sait à la fois alléger le son mais aussi affirmer les moments plus dramatiques, mais sans jamais écraser le plateau, certes, le travail du chef y entre et comment, mais il faut aussi un belle entente et une belle confiance pour que cette musique ne paraisse ni sirupeuse, si brutale. C’est ce qui s’appelle faire de la musique ensemble.
Mais l’artisan, c’est évidemment Daniele Rustioni, qui tient l’ensemble avec beaucoup d’engagement et de rigueur. On connaît son dynamisme, on connaît aussi sa manière de faire sonner l’orchestre, jamais gratuitement mais toujours en fonction de ce qui se passe sur le plateau. Favorisé par une mise en scène pas trop dérangeante, il travaille d’abord sur la ligne mélodique, et sur le lyrisme qui domine toute la partition…Il travaille beaucoup sur la couleur, sur la pulsation, sur la vibration en soutenant sans cesse les chanteurs sur le plateau sans jamais les couvrir mais faisant respirer la musique, en privilégiant les lignes dans une musique qui est quelquefois syncopée dont on ne perçoit pas toujours les continuités.
Il sait aussi travailler les scènes de conversation, nombreuses, changeant les dynamiques, accentuant certains rythmes et soignant notamment au deuxième acte, le plus « théâtral » les effets dramatiques. Il nous rappelle sans cesse par sa direction à la fois le Puccini en recherche de pittoresque avec des allusions aux espaces américains que Dvorak avait déjà labourés dans sa Symphonie du Nouveau monde, mais il montre d’abord l’extraordinaire sens de la ligne, de la mélodie et la manière dont Puccini – et c’est là toute la réussite de l’œuvre, fait qu’elle est un hommage de la musique italienne à l’Amérique, et donc qu’elle reste italianisssime, avec des citations plus ou moins évidentes de Tosca, ou des phrases qu’on retrouvera dans des œuvres futures de Puccini…cette musique luxuriante, pleine de ruptures, jamais triomphaliste, jamais épique (quel contresens !) mais toujours lyrique et sensible qui navigue sur toutes les émotions, Rustioni sait la traduire, et en restituer la vérité et la profondeur, il a choisi la sensibilité plus que le regard au scalpel, que Maazel ou Sinopoli privilégiaient jadis et il réussit à nous bouleverser.