Madama Butterfly de Giacomo Puccini, Festival d'Aix-en-Provence (Théâtre de l'Archevêché) 2024 - Tapis de bar à sushis sans sushis
Article by Guy Cherqui from Wanderer
”Magnifique Daniele Rustioni!”
C’est d’abord par la direction musicale que tient l’essentiel de la représentation. Daniele Rustioni dont c’est je crois la huitième Butterfly connaît parfaitement l’œuvre et en sait la complexité.
D’abord il accompagne et soutient les voix de manière attentive, notamment Ermonela Jaho dont la voix bien posée n’a pas un volume énorme. Sa direction tendue, nerveuse, reste parfaitement lisible et limpide, laissant entendre tous les détails de la partition et sa richesse, sans jamais en atténuer les aspérités, ni la noyer dans les mélismes. En aucun cas Rustioni propose un Puccini sirupeux, mais au contraire contrasté, vif, tout en n’abandonnant rien des aspects lyriques, mais sans jamais confondre lyrisme et miel. C’est une direction dont la pulsion est évidente, avec une respiration quelquefois haletante, quelquefois un peu plus alanguie.
Rustioni sait parfaitement jouer de l’orchestre comme sur un clavier, avec ses respirations, ses ruptures, mettant aussi en valeur des détails d’instrumentation très pointus. Puccini est un maître de la mélodie, mais si la mélodie affleure, elle est toujours la partie émergée d’un iceberg dont la partie immergée est particulièrement riche et détaillée et souvent peu fouillée. Rustioni fouille toute cette partie immergée, remettant en perspective l’ensemble de l’œuvre et lui donnant une densité qu’on perçoit rarement. Densité et diversité sont en même temps mises en valeur et permettent d’entendre quelquefois un son plein de relief, hautement symphonique, et à d’autres moments une ligne presque essentialiste, réduite à quelques instruments, sans fioritures et presque ascétique. Il réussit quelquefois à faire entendre un Puccini minimaliste qui ne laisse pas de surprendre, tant on est accoutumé à un Puccini plus gras, plus épais et souvent réduit à sa mélodie.
C’’est cette profondeur de lecture qui fait tout l’intérêt et l’originalité de son travail, qui fait entendre un Puccini inhabituel, plus fouillé, plus divers, quelquefois à la limite de l’atonalité, qui est parfaitement attentif à la couleur, sous toutes ses formes et ses expressions. Jamais Rustioni n’esquive le drame, jamais il ne relâche la tension : sa direction est intense dans la mesure où tout est au service du théâtre, y compris les jeux subtils sur les volumes, dans une acoustique toujours assez sèche et ingrate du théâtre de l’Archevêché. Jamais il ne se relâche, jamais il ne s’abandonne et toujours il soutient l’ambiance dramatique de l’ensemble. C’est net dans le duo d’amour du premier acte, par exemple dans la manière dont après un moment aux échos assez dramatiques Rustioni accompagne E dite cose che mai non intesi et surtout Or son contenta avec des notes tenues et subtiles aux bois,comme un apaisement rassurant de l’orchestre avant la transition au violon qui soutient Vogliatemi bene , et puis aussi dans la merveilleuse transition entre deuxième et troisième acte où il y a comme une sorte de sourde tension même dans le coro a bocca chiusa que les premières mesures du troisième acte pour ainsi dire justifient. Ce que je trouve particulièrement intelligent, c’est qu’il refuse toujours l’abandon, comme pour faire entendre un doute : le duo d’amour du premier acte, qui est duo d’abandon n’est jamais un abandon total et garde un reste de retenue, comme pour nous dire que quelque chose n’est pas tout à fait clair. Car le duo de Butterfly à la fin du premier acte n’est pas du tout le duo de Bohème, et Rustioni le fait subtilement ressentir. Grande direction musicale qui confirme que Daniele Rustioni est l’un des chefs qui comptent dans ce répertoire, comme on l’avait déjà perçu dans sa somptueuse Fanciulla ce printemps à Lyon.”